Fin novembre 2009. Un air des années 1970 nous arrive au Théâtre Petit- Champlain à Québec : Boite à chansons, spectacle mis en scène par Robert Charlebois avec quatre auteurs-compositeurs de l’époque plus son fils Jérôme.
Claude et moi étions parvenus à nous procurer des billets… un an à l’avance. Notre patience sera récompensée.
La scène est à découvert et le décor minimaliste nous met déjà dans l’ambiance des boites à chansons de l’époque : filets de pêche, lampe à l’huile, fanal et bougies. Cela nous rappelle La maison rouge au bord de la Rivière-aux- sables à Jonquière où nous avions assisté au tout premier spectacle du genre. Près de nous, des voisins évoquent La butte à Mathieu du nord de Montréal et le Cabastran de Joliette.
Après une présentation originale du jeune Charlebois, arrive Pierre Calvé guitare en mains avec ses premières chansons invitant au voyage : Quand les bateaux s’en vont, Vivre en ce pays… sur un fond musical du contrebassiste Michel Donato.
Dès les premières notes, une émotion m’étreint et persiste jusqu’à la fin. Émotion associée à la qualité des textes, au souvenir, à l’âge, au temps qui passe. Claude à côté de moi garde un mutisme éloquent.
Le cœur en émoi, j’accueille Pierre Letourneau accompagné à la guitare par son ami Michel Robidoux : Le monde est beau.
Claude Gautier suit avec ses textes sublimes : Le plus beau voyage, Le soleil brillera demain.
Jean-Guy Moreau imitateur et compositeur évoque la part des femmes dans la chanson québécoise notamment celle des Clémence Desrochers, Pauline Julien, Renée Claude, Monique Leyrac et Louise Forestier.
À la toute fin du spectacle, après une ovation chaleureuse de l’assistance, composée surtout de têtes grises, nous rentrons à la maison remués de bons souvenirs.
Importance de nos chansonniers
Cet événement me fera réfléchir sur l’importance des chansonniers au Québec. Ils ont marqué l’histoire de notre pays. Nous étions au début de notre éveil politique. Avant leur avènement notre chanson populaire puisait dans le folklore ou nous parvenait de France ou des États-Unis.
Voici que dans les années 1960, nos poètes chansonniers nous révèlent à nous-mêmes et nous font prendre conscience de notre spécificité. À travers leurs paroles nous trouvons notre âme et la vérité historique de notre combat collectif.
Leurs mots phares éclairent nos esprits. Leurs chansons répondent à notre besoin viscéral comme peuple. Notre sentiment d’appartenance et notre fierté nationale s’affirment.
Me vient à l’esprit le fabuleux souvenir du grand spectacle de la Super-franco-fête de 1974 qui réunissait sur les Plaines d’Abraham plus de 100 000 personnes venues entendre les trois grands de la chanson québécoise : Leclerc, Vigneault et Charlebois. C’était le soir de l’ouverture du Festival international de la jeunesse francophone. Nous y étions venus de Jonquière avec nos quatre enfants. Mariette et Jérémie, nos amis de Montréal et leur famille se joignirent à nous. Nous formions une petite cellule solidaire au milieu de la foule en liesse. La musique et les mots de nos auteurs sonnaient doux à nos oreilles de Québécois. Jamais je n’avais ressenti un tel sentiment de fierté nationale. C’était comme une renaissance. À la fin du spectacle, des milliers de petites lumières accueillirent la chanson de Raymond Lévesque Quand les hommes vivront d’amour, entonnée par les trois grands et poursuivie spontanément par la foule comme un rite sacré d’un peuple plein d’espérance.
Dernièrement, Robert Charlebois disait sur les ondes de Radio Canada le sentiment qui l’habitait ce soir-là : « Sur les Plaines, je me sentais au service de la langue qu’on aimait, qu’on chantait ».
Oui, une langue belle qui n’était pas celle des autres. C’était la nôtre, prometteuse d’un printemps qui verrait sans doute naître un pays, le nôtre.