vendredi 27 août 2010

Énigme

Nous montons les premiers dans le car de touristes qui nous mènera au sommet des Andes. Nous prenons place en avant afin d’avoir une vue panoramique sur le paysage. La route sera longue et pittoresque depuis Mendoza jusqu’à Las Cuevas, le plus haut sommet des Amériques.

Le car continue sa cueillette de voyageurs. Au dernier hôtel monte un seul passager, un beau grand jeune homme dans la vingtaine, vêtu de blanc, tenue sport griffée. Élégance remarquable.

Dès la première marche il regarde Claude et le gratifie d’un sourire engageant. Tandis qu’il remet son billet au chauffeur je vois les chaines en or qu’il porte au cou et au poignet.

Qui est ce personnage? Énigme.

À l’heure du lunch, arrêt à la montagne Pénitentes et à son centre de ski. Nous choisissons une table avec vue sur la montagne. Le jeune solitaire se place à distance de façon à pouvoir nous regarder, ce qu’il ne manque pas de faire à plusieurs reprises.

À la longue pause qui suit au Pont des Incas, il s’adosse au garde-fou et suit Claude du regard tandis que nous marchons dans les gradins. De même devant les boutiques où nous marchandons les foulards en alpaca, il ne cesse de regarder de notre côté. Il n’achète pas, il observe.

Je m’étonne du mutisme de Claude. Habituellement il engage la conversation avec les voyageurs. Ici, rien. Malaise peut-être?

Je ne rêve pas. Au sommet de Las Cuevas, l’énigmatique personnage prend des photos où, mine de rien, Claude est dans sa mire.

Retour à Mendoza. Le car ramène chaque passager à son hôtel. Le bel éphèbe descend le premier au chic palace où il loge. Dernier regard vers Claude.

L’énigme demeure.

Me viennent en mémoire des images de Mort à Venise de Visconti.

mardi 24 août 2010

Fièvre

Cent trois de fièvre. Claude est cloué au lit dans notre confortable chambre de l’hôtel Regis à Mexico. Il a attrapé la tourista. Pas question pour lui de manger ce soir-là.

Je descends seule à la salle à dîner avec nos compagnons de voyage Germaine et Roland. La décoration de la place est cossue. La clientèle est distinguée. Un trio de mariachis ajoute une atmosphère festive au repas.

Je remarque qu’à la table voisine deux beaux messieurs lorgnent souvent de notre côté. Au dessert, sans invitation de notre part, les mariachis viennent nous jouer la sérénade. Le serveur apporte trois flutes de champagne sous l’œil entendu de nos voisins. Galante entrée en matière qui les amène à se joindre à nous.

Ils sont architecte et ingénieur, disent-ils. J’ajouterais aussi charmeurs d’expérience… Mon anglais étant limité et mon espagnol encore plus, je laisse les conversations à Germaine et Roland. Mon seul langage est visuel.

L’un d’eux me le rend bien et ose même me demander en montrant le papillon de mon pendentif : « Are you butterfly ? » Me sentant protégée par mon beau-frère, je réponds avec coquetterie : « Sometimes… »

Vient vite alors une invitation à continuer la soirée dans une boite où se produisent les meilleurs mariachis de Mexico.

Germaine semble apprécier la chose. Roland, pas du tout :

Il n’en est pas question. Pense à ton mari malade là-haut, Yvonne.

Nous retournons sagement au chevet de Claude sans autre discussion.

Remercie-moi mon cher beau-frère. Je te ramène ta femme avant qu’elle accepte l’invitation galante d’un séducteur mexicain.

Et d’expliquer la situation et tout…

Claude saisit l’occasion pour provoquer son beau-frère un tantinet conservateur:

Dommage, Yvonne, c’était une occasion unique !

Câlibi ! (juron de Roland) Tu as sûrement encore de la fièvre pour divaguer comme ça !


Note : Roland G. était l’aîné de mes beaux-frères. Il avait épousé ma sœur Marguerite. Après le décès prématuré de celle-ci, il épousa Germaine V. que nous avons adoptée comme une sœur. Malgré la différence d’âge d’une quinzaine d’année, nous nous entendions très bien avec eux. Pour preuve, nous avons partagé ensemble trente-deux voyages au Québec, au Canada, en Amérique, en Europe et en Asie.

vendredi 20 août 2010

Moi, mes souliers…

Qui m’aurait dit que mes souliers de tango acquis à Québec me seraient échangés en Argentine?


Je les avais achetés de notre professeur de tango qui revenait d’Argentine. Je m’étais laissée séduire par un modèle en cuir verni. Un peu serrés, mais si élégants. À l’usage ils devraient se distendre m’avait-on dit. Le lendemain, un nouvel essayage à la maison me prouva mon erreur. Je les rangeai dans l’oubliette de la garde-robe.

Sept ans plus tard nous projetons d’aller en Argentine. Notre ami Hugo vient nous visiter en compagnie de son amie Alexandra, une jeune femme de Buenos Aires, pour nous aider à planifier notre voyage. Nous prenons note de leurs judicieux conseils, des lieux à ne pas manquer, des articles à acheter comme des pulls en alpaga, des falcons, des souliers de tango…

Ma mémoire s’éveille : « mes souliers! »

Je cours les chercher pour leur montrer et leur raconte mon achat raté d’il y a sept ans. Alexandra reconnait la marque :

Ce sont des Flabella? C’est là que j’achète les miens rue Suipasha. Apportez-les, ils vont vous les échanger.

Incrédule, je les mets quand même dans ma valise.

Le hasard fait bien les choses. À Buenos Aires nous réalisons que la rue Suipasha est tout près de notre hôtel. Nous décidons de tenter notre chance chez Flabella. J’apporte avec moi les souliers. Dès l’entrée dans la boutique nous sommes impressionnés par la variété des souliers de tango qu’on y offre. Nous sommes reçus chaleureusement par le couple propriétaire des lieux. Rassurée par cet accueil, j’explique à la dame la raison de ma démarche et lui montre les souliers. Elle reconnaît tout de suite qu’il s’agit bien d’un produit de leur maison. Elle accepte de les échanger.

Nous n’en avons plus de ce modèle mais nous en avons beaucoup d’autres qui devraient faire votre affaire.

Je trouve facilement les chaussures de remplacement. La dame les glisse dans mon sac qu’elle me remet avec le sourire entendu d’un marché conclu.

Ce n’est pas tout, madame. J’aimerais essayer les souliers rouges exposés dans la vitrine.

Manifestement je lui fais plaisir… et à moi aussi… car à l’essai ils me vont à ravir. Achat conclu.

C’est au tour de Claude d’intervenir.

J’aimerais essayer le modèle classique que je vois là.

Pour lui aussi l’essai fut convainquant d’autant plus que la charmante dame accepta de bonne grâce son invitation à exécuter quelques pas de tango dans ses bras sous les yeux amusés des clients.


Nous venions dans cette boutique pour échanger une paire de souliers, nous en ressortons joyeusement avec trois. Viennent les milongas de Québec!

Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé…

mardi 10 août 2010

L’annonce faite à Marie

Dernier samedi d’août. L’école du rang commence dans quelques jours.

Tout est prêt : les robes du dimanche prévues pour la première journée sont bien repassées et suspendues dans la garde-robe, les sacs d’école remplis de livres, de cahiers neufs, de crayons bien affûtés dans leurs coffres en bois attendent près des lits. Il ne reste plus que la coupe de cheveux.

Nous, les quatre dernières alignées à la table de la cuisine, attendons notre tour pour prendre place sur le haut banc. Maman est là avec sa trousse de barbier.

Qui veut bien s’asseoir la première ?

Moi, dit Marie.

Marie, sept ans, toute confiante observe miroir en main les coups de ciseaux de la coiffeuse. Elle lui fait une jolie coupe en balai selon la mode du temps.

Avant de céder sa place, ma sœur pose à notre mère cette question qu’elle n’attendait sûrement pas :

Est-ce vrai, Maman, que je ne suis pas ta petite fille ?

Maman a toujours su contrôler ses émotions. C’est d’un ton très calme qu’elle demande malgré sa surprise :

Qui t’a dit ça ?

Cécile Gagnon, chez monsieur John.

Maman fait mine de couper quelques poils rebelles puis répond :

Tu es ma petite fille, Marie. Ton père et moi, nous sommes allés te chercher à la crèche de Québec. Tu avais trois mois. Nous pensions ramener un garçon mais quand nous t’avons vue si belle et souriante c’est toi que nous avons choisie. J’attendais que tu sois plus grande pour te le dire.

Sur ce, ma mère la fait descendre du banc, lui donne une tape affectueuse sur l’épaule et reprend :

Tu es notre petite fille et tu es toujours belle. Qui vient s’asseoir maintenant ?

samedi 7 août 2010

Le bréviaire

Par beaux matins, une dame marche sur les Plaines un livre ouvert dans les mains. Sans perdre la cadence, elle lit sans interruption.

Cela me ramène à mon enfance quand mes oncles prêtres déambulaient sur la longue galerie de la maison en lisant leur bréviaire. Maman nous disait alors de jouer en arrière pour ne pas les déranger.

Un jour, à l’heure de la vaisselle, ma sœur Marie, plongée dans la lecture des Trois mousquetaires en faisant les cent pas sur la galerie, fait semblant d’ignorer sa tâche. Je lui demande de venir m’aider.

Sans arrêter sa marche, elle réplique :

Déranges-moi pas, je lis mon bréviaire !

Les hommes et l’habillement

Claude a besoin d’un veston sport. Comme je ne peux l’accompagner au magasin, il décide d’y aller seul. Un vendeur lui propose plusieurs modèles de différentes couleurs. Il regarde, essaie, interroge le miroir, réessaie…

Deux vestons lui conviennent. Il hésite. Lequel choisir ?

Lequel ?

Bon. Il est temps, se dit-il, que je me serve de mon discernement personnel et… mon discernement personnel me dit que je dois consulter ma femme !

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Louise et André entrent dans la salle de cours. Ce dernier porte un beau chandail rose cendré.

Je dis à Micheline assise près de moi :

Regarde comme le rose va bien à André.

Oui, elle a du goût.