jeudi 27 mai 2010

Grande amitié

En 1968, Laurent Bouchard nous demande d’accueillir au nom de l’Institut des arts au Saguenay dont il est président deux français venus observer les centres culturels du Québec. Ils sont liés aux maisons de la culture en France et ont reçu le mandat de voir le mode de fonctionnement de ces créations récentes que sont les centres culturels du Québec et qui font jaser outre Atlantique.

C’est un vendredi. Claude étant retenu par son travail, c’est donc moi qui accepte de rendre service à notre ami Laurent, loin de m’imaginer qu’il nous offrait le cadeau d’une future grande amitié.

Je m’en vais donc cueillir au Centre culturel Messieurs Verpraet et Perrenot. Comme ils en ont déjà fait la visite guidée la veille, je leur propose d’explorer deux lieux importants de ma région : le barrage hydroélectrique de Shipshaw et l’usine Alcan d’Arvida. Ces visites plaisent aux deux touristes. Le gigantisme de ces ouvrages les impressionne, particulièrement Michel Perrenot qui est ingénieur. Dans ces déplacements je ne suis pas sans remarquer la galanterie de ce dernier dont le charme à la française ne me laisse pas indifférente.

En fin de journée, je les invite tout simplement à venir partager le souper familial à la maison. Avant, un dernier arrêt à Saint-Raphaël, notre église paroissiale à l’architecture innovatrice. Par chance le curé Roland Larouche est là. Je ne peux trouver meilleur guide. En le quittant, il nous promet de venir poursuivre chez nous en soirée. Soirée bavarde et animée dans notre petit salon de l’époque.

Monsieur Verpraet, catholique pratiquant, prend intérêt aux propos de notre curé qui est avant-gardiste dans le renouveau liturgique. Michel de son côté m’avoue que ce n’est pas sa tasse de thé.

Surprise de les voir tous deux à la messe du dimanche à Saint-Raphaël, je demande à Michel :

Votre ami Verpraet a fait une conversion ?

Non, c’est le miracle d’une hôtesse séduisante.

Charmant!


Les semaines passent. Je reçois par la poste un colis de France. Il contient une ravissante écharpe de soie or et noir. C’est l’œuvre de Françoise, épouse de Michel.

« Je la porte à mon cou en souvenir de toi » comme dit la chanson de Maurice Fanon.

Au fil des ans, nous avons perdu la trace de monsieur Verpraet. Mais, avec Michel, les liens solides se sont tissés, lettres et rencontres aidant.

Lors d’un voyage en France avec nos enfants, Michel accourt de sa Bretagne nous rejoindre à Paris avec Françoise. Sa cousine Claude, parisienne, se joint à nous pour une soirée fort joyeuse sur la place du Tertre.

Le couple Perrenot déjà vacillant divorce. Michel trouve en sa cousine Claude une compagne amoureuse et attachante. Les relations Perrenot-Gagnon s’intensifient. Innombrables furent les traversées de l’Atlantique de part et d’autre, tout comme les voyages partagés en France, au Québec, voire même en Nouvelle-Angleterre et à New York.

Lors de notre cinquantième anniversaire de mariage en 2004 les Perrenot, de connivence avec les organisateurs de la fête, nous réservaient une surprise spectaculaire. Notre fils aîné Yves venait de terminer la lecture de leur message exprimant leurs regrets de ne pas être avec nous quand, coup de théâtre, Michel et Claude font leur apparition dans la salle, soulevant acclamations des invités et touchantes émotions de notre part.

L’avènement de l’Internet nous a apporté un moyen de communication supplémentaire. Nous pouvons à la minute près avoir de leurs nouvelles, goûter le verbe généreux de Claude et l’humour un tantinet érotique de Michel.

Lorsque nous nous retrouvons ensemble la conversation continue comme si nous nous étions quittés la veille. C’est ça une grande amitié.

samedi 15 mai 2010

Vacances d’été

Dès qu’on entrait chez tante Laudéa ça sentait bon la cire d’abeille. Son mari, oncle Vincent, était apiculteur.

Quel plaisir j’avais à aller chez elle durant les vacances d’été! Tout était différent de chez nous : le paysage, le régime alimentaire, la manière de vivre, et, comble de bonheur, les Doré tenaient un magasin de friandises.

Ce modeste paradis n’était qu’à deux miles de chez nous. Nous pouvions y aller à bicyclette pour jouer avec les cousines Marie-Paule et Élise. Leur frère Victorien, lui, passait l’été dans notre famille où il apportait son aide aux travaux des champs. En contrepartie, tante Laudéa invitait les petites pour une semaine. Je ne garde que de joyeux souvenirs de cette promenade annuelle.

Au dessus de la galerie de la maison il y avait une grande enseigne :

Le rucher de l’excellent miel doré

Vincent Doré, propriétaire.

Situé en flan de colline, le rucher ressemblait à une petite cité toute blanche. Certaines ruches plus hautes que les autres se dressaient comme de minis gratte-ciel. La vaillance des abeilles ouvrières obligeait l’ajout de sections supplémentaires. Leur va-et-vient entre les champs de trèfle environnants et leurs habitacles n’avait de cesse depuis l’aube jusqu’à la tombée du jour. Il fallait entendre leur bourdonnement menaçant lorsqu’on les approchait d’un peu trop près. Je dis bien un peu, car malheur à qui goûtait à leurs piqûres douloureuses.

À la fin de l’été, c’était la récolte. Oncle Vincent tel un chevalier en armure, revêtait la tenue de combat : salopette blanche, chapeau à large bord recouvert d’une moustiquaire bien refermée sur les épaules. Ganté jusqu’au coude, il ouvrait prudemment les ruches une à une et y prélevait, au grand déplaisir des abeilles affolées, les cadres gorgés de miel. Transportés dans sa cave-laboratoire d’une très grande propreté ils étaient soumis à l’action d’une imposante centrifugeuse qui en extirpait cet excellent miel doré qui faisait la réputation de la maison. Le miel était ensuite versé dans des chaudières de différents formats libellées au nom du rucher que notre oncle rangeait sur des tablettes dans l’attente des clients. Pour allécher ces derniers il en montait quelques-unes à son magasin du rez-de-chaussée.

En fait, ce magasin ressemblait plutôt à un dépanneur d’aujourd’hui. À mes yeux d’enfant, ce qui m’attirait c’était les diverses gâteries qui y étaient étalées comme les grosses bouteilles d’orange croche, les bonbons à la cenne, les gommes ballounes, les bâtonnets de réglisse et autres merveilles inconnues chez nous. Tante Laudéa savait nous gâter sans exagération.

Elle nous servait aux repas des mets qui nous étaient exotiques comme le saucisson de Bologne qu’on appelait balle au nez qui revenait souvent ou encore des sandwiches aux bananes et au beurre d’arachide. Parfois, à l’époque de la récolte, oncle Vincent montait de la cave un gâteau de miel que l’on mâchait pour en extraire de la cire le délectable nectar.

Je ne me suis jamais ennuyée chez Laudéa. De toutes mes tantes c’était celle qui savait le mieux se mettre à la portée des enfants. Elle avait d’ailleurs un côté juvénile pour ne pas dire naïf qui l’amenait volontiers à partager nos jeux. Quand nous jouions à la madame elle ouvrait sa garde-robe et nous prêtait robes, chapeaux, souliers à talons hauts. Ce jeu tenait du théâtre. L’hôtesse désignée devait dresser la table, recevoir ses invités avec moult cérémonies, verser le thé, servir des friandises dans les petites assiettes du service de vaisselle jouet. C’était pour nous en quelque sorte une initiation aux bonnes manières des grands. Le déguisement facilitait la création des personnages. Les conversations se faisaient sophistiquées, dignes des personnages de la comtesse de Ségur.

La semaine chez les Doré passait toujours trop vite. Ces vacances d’été sont pour moi classées parmi les plus beaux souvenirs de mon enfance.

jeudi 6 mai 2010

Charité

Dans son prône du dimanche le curé avait annoncé la visite dans les foyers de la paroisse des religieuses de la communauté des Sœurs de l’Immaculée Conception.

Elles viennent solliciter vos aumônes pour leurs missions. Accueillez-les généreusement.

Quelques jours plus tard, deux religieuses se présentent à la maison. Ma mère les invite à s’assoir. J’ai quatre ans. C’est la première fois que je vois des femmes habillées de la sorte. Leur costume noir avec guimpe blanche et long scapulaire bleu m’impressionne. Mes sept sœurs et moi entourons les visiteuses avec timidité et curiosité.

Une des révérendes, d’un ton aigu et chantant, explique la raison de leur visite :

Je reviens d’un séjour de deux ans dans nos missions d’Afrique. J’ai vu là une misère incommensurable. Des enfants meurent de faim. Vous ne pouvez imaginer cela vous qui mangez trois fois par jour. Des malades n’ont pas la chance d’être soignés parce qu’il n’y a pas comme ici un médecin dans leur village et que les rares hôpitaux sont trop éloignés. Il nous faut beaucoup d’argent pour construire des dispensaires. Un don, même minime, peut sauver des vies. C’est pour cela que nous faisons appel à votre charité.

Maman ayant prévu cette visite leur remet une enveloppe contenant l’aumône de la famille.

Avant de prendre congé, la deuxième religieuse jusqu’alors muette s’enquiert si une des filles parmi nous veut se donner au bon Dieu ?

Sur huit filles, il y en a sûrement une qui est assez généreuse pour entrer en religion ?

Ne percevant de notre part aucune réponse favorable elle change de propos :

Laquelle de vos filles n’est pas à vous, madame Tremblay ?

Embarrassée maman répond :

Ce sont toutes mes filles, ma sœur.

La connasse insiste :

Votre voisine m’a pourtant dit que vous en aviez une qui était adoptée. Laquelle ?

Devant l’insistance stupide de la religieuse, c’est ma sœur aînée Gillot qui sauve la situation. Consciente de l’embarras de maman qui n’a pas encore informé Marie de la chose (Marie a cinq ans) Gillot se lève et dit :

C’est moi !

Persistant dans ses conneries, la nonne s’exclame :

Ah, je vois bien qu’elle est différente des autres.

N’importe quoi !

Les deux visiteuses quittent en remettant à chacune de nous une image de l’Immaculée Conception.

J’ai perdu depuis longtemps cette image pieuse mais je garde toujours en ma mémoire celle de la stupidité de la religieuse.

Pour moi, la vraie charité est venue de ma sœur Gillot ce jour-là.