Pierrette Gaudreault fonda en 1960 une école d’art à Jonquière (l’Institut des arts au Saguenay) en y investissant sa seule fortune : sa ténacité. Cette école joua un rôle important dans le développement de la vie culturelle du Saguenay.
Il fallait à cette inconnue du monde des arts une foi indéfectible et une forte dose d’audace pour aller frapper à la porte de célébrités reconnues et les convaincre d’adhérer à son projet. Ainsi Raoul Jobin, Wilfrid Pelletier, Ludmilla Chiriaeff, Jean Cousineau, Jean Morin, Jean-Jacques Jolois, Jean-Eudes Vaillancourt et beaucoup d’autres ont accepté chacun à leur manière de sauter dans le train. Grâce à eux, l’Institut a acquis une grande crédibilité.
J’étais des premiers élèves inscrits aux cours de peinture. Ces cours comme tous les autres cours se donnaient dans la modeste maison familiale des Gaudreault rue Saint-François. Les soirs et les fins de semaine la maison était envahie par les élèves de tous âges. Lorenzo (son mari) et les enfants devaient s’accommoder de la polyvalence des pièces. Les chambres et le salon étaient transformés en studios et ateliers. « Ce sera temporaire » leur avait-elle promis. La temporalité dura plusieurs années.
De plus Lorenzo devenait chauffeur de taxi. C’est lui qui allait généreusement chercher et reconduire à l’aéroport de Bagotville les professeurs venant de l’extérieur. Souvent il leur offrait même de partager le repas familial à la bonne franquette.
L’ambition de madame ne se limitait pas à offrir des cours dans toutes les disciplines artistiques. Elle voulait que l’Institut soit un agent de développement artistique. Aux cours s’ajoutaient : expositions, concerts, spectacles, conférences, etc.
Pour ce faire, elle était assistée par un conseil d’administration formé de gens influents de la ville (professionnels, gens d’affaires et artistes) qui bénévolement voyait à ce que les finances suivent l’intendance. Claude en fit partie durant près de dix ans.
L’Institut prit au fil des années une telle expansion que la maison familiale s’avéra vite trop étroite. Il fallut trouver de nouveaux locaux. C’est dans des écoles de la commission scolaire qu’on trouva une solution. De façon temporaire encore une fois.
C’est en 1967 que l’Institut eut enfin un toit permanent. C’est la ville de Jonquière qui le lui offre en lui confiant la gestion et l’animation du nouveau centre culturel qu’elle vient de construire au sommet du Mont Jacob en cette année du centenaire de la Confédération. Un endroit de rêve. On y trouve enfin réunis en un même lieu les studios, les salles de cours, les ateliers, une salle d’exposition et même un théâtre.
Je faisais partie du comité des expositions. Nous choisissions les artistes à exposer et participions à l’accrochage des œuvres.
Une des premières expositions m’a particulièrement emballée. C’est celle des Plasticiens de Montréal qui venait du Musée du Québec. Son directeur, Guy Viau et le conservateur, Gérard Morissette accompagnaient les œuvres. Comme à l’accoutumé nous avons procédé au déballage des tableaux et à l’accrochage mais cette fois sous les conseils de spécialistes. Ce fut pour moi un cours exceptionnel sur l’art de l’accrochage.
Pour la petite histoire, je me souviens qu’après les œuvres bien en place Madame Gaudreau s’était amenée avec une bouteille de vin et des verres. C’est sans cérémonie que toute l’équipe s’était assise par terre pour trinquer avec nos illustres visiteurs. Moments de détente ponctués de rires autour des anecdotes évoquées par les Viau et Morissette. Leur grande simplicité m’a beaucoup touchée.
Autre activité dont je me rappelle: les Vendredis rencontres, des soirées- causeries où nous avons eu la chance de dialoguer avec Gilles Vigneault, Armand Vaillancourt, Jacques Languirand, Amato Verdone, André Brassard et autres sur différentes facettes des arts.
Le petit théâtre nous présenta des pièces de répertoire et des œuvres de création jouées par des troupes régionales naissantes. Parmi ces dernières je garde le souvenir de Monsieur le coryphée, une pièce écrite par le jeune prodige jonquièrois Jean-Pierre Bergeron, jouée par lui avec des jeunes de son âge, Marie Tifo, Louise Portal, Han Masson, Ghislain Tremblay, Rémy Girard tous reconnus maintenant parmi nos meilleurs acteurs du Québec.
Pour tout dire, le centre culturel de Jonquière devint un incubateur de talents où les créateurs pouvaient expérimenter les fruits de leur imagination.
Comment ne pas évoquer les Sons et Lumières qui embrasèrent le mont Jacob plusieurs étés et qui furent un grand succès de foule. Merci Laurent, Ralph, Lorraine, et vous tous dont j’oublie malheureusement les noms.
Grâce à son centre culturel Jonquière vivait une époque de grande effervescence artistique. Son centre était cité en exemple par le ministère des Affaires culturelles qui n’hésitait pas à nous envoyer des observateurs étrangers.
Notre maison était située au bas du mont Jacob, chance appréciée par les parents-taxis que nous étions devenus puisque nos quatre enfants pouvaient maintenant se rendre à pied à leurs cours : Yves en violon et théâtre, Marie en ballet et piano, Jean en violoncelle, François en violon.
Pierrette Gaudreault est aimée du corps professoral et des étudiants. La population de Saguenay reconnait son mérite et sait que tous sont les bienvenus sur la colline. Aucun talent n’est refusé pour des raisons monétaires. La directrice sait dénicher des mécènes pour leur venir en aide. Certains de ces jeunes talentueux (on me pardonnera de taire leurs noms) font maintenant carrière internationale.
Tout va bien jusqu’au jour où elle reçoit un salaire. Certains jeunes loups convoitent sa place. Pour ce faire, ils réussissent à mobiliser au nom de la démocratisation de la culture une cohorte de gens, majoritairement étrangers au domaine culturel, afin d’exiger son remplacement à la direction de l’Institut. Nous sommes dans la foulée des événements contestataires de mai 68. On veut descendre le centre culturel dans la rue, remplacer par le vrai monde cette élite privilégiée qui se paie des loisirs à même le peuple. On caricature les travers de la directrice. On invoque ses fautes de langage. La mesquinerie n’a pas de limite. On veut sa tête et on finit par l’obtenir.
Une part de nous en fut affectée. En collaborant avec cette femme remarquable nous avions la conviction d’avoir servi le peuple et non pas de l’avoir exploité. Il a fallu plusieurs années avant que nous soyons capables de remonter la côte au sens propre et au sens figuré.
Malgré cette grande épreuve, Pierrette Gaudreault ne s’est pas retirée dans ses terres. Elle a continué à faire profiter de son expérience d’autres institutions culturelles et humanitaires de la région du Saguenay jusqu’à la fin de sa vie.
Mon admiration pour cette femme demeure et je suis heureuse de lui rendre hommage aujourd’hui.