Dans la grande maison de mon enfance il y avait une chapelle. Ce privilège nous avait été accordé par Rome afin de permettre aux quatre fils prêtres de la famille de célébrer leur messe quotidienne sans devoir aller à l’église paroissiale située à sept kilomètres. Ce petit sanctuaire fut témoin d’événements importants de l’histoire familiale.
C’est notre oncle Victor qui en fut l’architecte autour des années vingt. Jeune prêtre enseignant au séminaire de Chicoutimi, une maladie l’obligea à un arrêt temporaire avec prescription de travailler manuellement. Le temps était propice à la réalisation de son rêve de voir une chapelle dans la maison familiale.
Assisté de mon père, il en traça les plans et érigea une construction remarquable d’unité et de perfection dans les détails. Il fallait admirer l’assemblage des angles où les lignes du bois d’orme se prolongeaient d’un pan à l’autre. La base des murs faite de ce matériaux montait jusqu’à mi-hauteur pour laisser place au plâtre blanc jusqu’au sommet de la voûte cintrée. Une délicate frise crénelée démarquait le mur de la voûte. L’autel, les prie-Dieu, le chemin de croix de même que le vestiaire étaient également en bois d’orme, l’arbre mythique de la famille.
Le vestiaire de la chapelle était un imposant meuble où le célébrant pouvait choisir dans les nombreux tiroirs où ils étaient rangés les habits sacerdotaux selon la liturgie du jour. Le vestiaire était surmonté d’une armoire dans laquelle étaient enfermés les vases sacrés et le vin de messe. Oserais-je avouer qu’un jour en faisant le ménage de la chapelle, Dieu nous pardonne, ma sœur Marie et moi en avons bu une petite rasade. Voir devant nous le rituel des oncles se préparant à la célébration de la messe en revêtant les habits liturgiques m’incitait au recueillement.
Nos oncles prêtres, Charles, Alphonse et Laurent, venaient à tour de rôle se promener chez nous. Exceptionnellement, lors de grands événements, ils y étaient tous. Victor, lui, venait fréquemment. Maman l’appelait parfois le curé de la famille. Il arrivait ordinairement par le train de Chicoutimi le samedi soir pour nous donner la messe du dimanche. Nous allions le chercher à la gare. C’était toujours agréable de l’accueillir tellement il nous racontait des choses intéressantes sur son travail à la Société historique du Saguenay dont il était le fondateur.
Mon grand-père se retirait souvent dans la chapelle pour réciter ses chapelets. Lorsqu’il était mécontent (ce qui arrivait souvent vers la fin de sa vie) ses ave laissaient place à des imprécations et des supplications du genre : « Maudit Taschereau!... Race de monde! Mon doux Jésus… Mon Dieu, venez me chercher… » Nous l’écoutions à la porte et nous disions : « Pauvre grand-père, il est triste aujourd’hui. »
Les moments les plus exceptionnels qui se sont déroulés dans la chapelle sont sans contredit les célébrations du mariage des huit filles de la famille. Mon frère a dû, comme le voulait la coutume d’alors, se marier dans la paroisse de son épouse.
L’exiguïté du lieu obligeait les mariés à une fête intime, mais le décorum n’en était pas exclu pour autant. Piano ou accordéon se substituaient aux orgues pour la marche nuptiale traditionnelle. À notre mariage, béni par oncle Victor, c’est Michel Savard, oncle de Claude, qui rehaussa la cérémonie avec sa chorale acadienne.
Le temps passe. Les oncles prêtres sont morts. La maison fut vendue. Qu’est devenue la chapelle familiale? Je sais que l’autel et les habits sacerdotaux ont trouvé une nouvelle vocation dans une autre chapelle à Chicoutimi. Quant aux vases sacrés et au chemin de croix, ils furent donnés au Musée des religions de Nicolet.
Je suis passée devant la maison il y a quelques années. Je n’ai pas retrouvé celle que j’avais quittée il y a plus de cinquante ans. La maison était dans un état lamentable. J’ai su alors qu’elle avait été vendue et revendue à plusieurs reprises. Les acquéreurs l’ont négligée. J’en suis revenue le cœur serré.
J’ai appris récemment que la maison avait été acquise par des retraités soucieux de la conservation du patrimoine. Ils travaillent à sa restauration y compris celle de la chapelle. Grâce à eux la maison fut reconnue par la municipalité maison patrimoniale.