J’ai mal au ventre. Une simple pression au bas du côté droit m’est insupportable. Maman craint que ce soit l’appendicite. Le vieux docteur Lamy n’a pas de doute et confirme le diagnostic.
— Elle doit être opérée le plus tôt possible, dit-il. Si vous êtes d’accord, je peux la confier à un collègue, le docteur Brassard, chirurgien à l’hôpital de Roberval qui pourrait éventuellement l’opérer demain ou après-demain.
L’hôpital? L’opération ? Vais-je mourir ? À quatorze ans ?
D’après maman l’appendicectomie est chose courante. Pour me distraire, elle propose que nous retournions à la maison pour préparer ma petite valise.
— Tu mettras le beau pyjama neuf de ton trousseau de pensionnaire.
En effet, dans trois semaines je dois entrer à l’École normale de Nicolet. Si je dois être opérée, mieux vaut maintenant.
Confirmation du docteur Lamy: admission à l’hôpital demain soir, opération le surlendemain à la première heure. Comme nous n’avons pas d’automobile, le voyage à Roberval se fera en autobus. Maman dormira chez une grand-tante qui réside à deux coins de rue de l’hôpital.
Durant le trajet qui nous mène à Roberval maman sort de sa poche un petit sac de peppermints. Une façon de m’exprimer sa tendresse.
Nous descendons directement à l’hôpital. Les formalités d’admission remplies, on me conduit à ma chambre au cinquième étage. J’occupe le lit près de la fenêtre d’où je vois le lac Saint-Jean étale et rougeoyant sous le soleil couchant. Trois personnes sont allongées dans les autres lits. Une d’elles, une vieille dame, me souhaite la bienvenue. Une autre, opérée du matin, somnole et pousse de petits gémissements. La troisième dort à poings fermés.
Une infirmière, visiblement fatiguée de sa journée, vient m’installer et ranger mes affaires personnelles dans mon chiffonnier. Elle me remet une jaquette d’hôpital et me dit: « À demain! ».
Une religieuse prend la relève. Habillée tout de blanc, elle ressemble à un ange.
— Bonsoir jeune demoiselle. Comme ça, on sera opérée demain? Le docteur Brassard est un bon médecin, vous savez. Ça va bien aller. Je vais vous donner un somnifère pour que vous puissiez passer une bonne nuit.
Sa sérénité m’apaise. Doucement elle borde mon lit, me sourit et disparaît discrètement. La petite pilule fait vite effet. Maman qui m’a accompagnée jusque là décide de me laisser dormir. Elle m’embrasse et me promet d’être présente à mon réveil.
Encore endormie, je vois qu’on s’affaire autour de moi. Un brancard est là près de mon lit et on m’aide à m’y glisser. En route pour la salle d’opération. Je ne vois pas maman. Vais-je revenir? Je me laisse rouler accrochée à l’espérance. Une salle pleine de lumière me force à fermer les yeux. Des voix basses donnent des ordres. On me transfère sur une table et applique sur le nez un masque désagréable à odeur de chloroforme. Je me sens dissoudre.
J’émerge. J’entends une voix me demander si ça va bien. Mes paupières à peine ouvertes me laissent voir deux yeux globuleux penchés sur moi.
— Ta mère va revenir d’une minute à l’autre. Elle est sortie pour un instant. Je suis l’abbé Kirouac, l’aumônier de l’hôpital.
Sitôt dit, maman est là. Elle me dit que tout est fini. Pas tout à fait, car j’ai bien mal au cœur. Pendant que j’essaie de contrôler mes nausées, j’entends une conversation entre ma mère et l’abbé Kirouac, lequel est aussi Principal de l’école normale de Roberval.
— J’ai su que votre fille ira à Nicolet en septembre. Est-ce parce que vous n’êtes pas contente de l’éducation qu’ont reçue ses grandes sœurs à notre école normale?
— Non pas, monsieur l’abbé. Nous avons envoyé nos huit filles dans quelques institutions différentes pour y aller puiser le meilleur de chacune.
Cette conversation me ramène au futur qui m’attend bientôt.
En après-midi, mon chirurgien fait sa tournée. Bonne nouvelle, il m’annonce que dans deux jours je pourrais quitter l’hôpital. Vivante !
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