lundi 25 avril 2011

Annie

En 1992, j’étais en quête de modèles pour un projet sur le thème de la musique. Le directeur du Conservatoire de Chicoutimi me donna l’autorisation d’observer ses élèves au travail.

Je déambulai d’un studio à l’autre à la recherche de sujets inspirants. Dans la section des cordes j’ai remarqué une violoniste et une violoncelliste qui correspondaient à mes critères. Une autre jeune artiste attira mon attention. Elle jouait de la contrebasse. Haute comme trois pommes, juchée sur un tabouret, elle me semblait ne pas correspondre à la taille de son instrument. Son visage radieux cependant me laisse croire qu’elle était tout à fait à l’aise.

Je profitai d’un moment de pause pour me présenter à elle et lui demander son nom.

Je m’appelle Annie, Annie Vanasse.

Comme il y a peu de famille de ce nom dans la région, je lui demande le nom de son père.

Il s’appelait Yves. Je ne l’ai pas connu de même que ma mère. Ils sont morts tous les deux dans un accident de voiture peu de temps après ma naissance.

J’allume vite et lui demande si sa mère ne s’appelait pas Michèle.

Oui. Vous la connaissiez ?

Incroyable! Je suis en face de la fille de Michèle et d'Yves Vanasse. Le décès tragique de ce couple quelques jours après la naissance de leur premier enfant avait bouleversé les gens du milieu judiciaire. Lui, avocat prometteur, et elle, brillante secrétaire des procureurs de la couronne de Chicoutimi.

J’ai bien connu votre mère puisqu’elle était la secrétaire de mon mari. C’était une femme que je trouvais très belle. Que de fois elle a accepté généreusement de me copier des documents personnels dans ses temps de loisirs!

J’explique à Annie la raison de ma présence au conservatoire. Je sens que mon projet l’intéresse. Elle sourit à l’idée de venir poser dans mon atelier. Une date est convenue pour ce faire.

Je la vois encore arriver chez moi au volant d’une spacieuse voiture familiale avec son immense instrument, elle si minuscule. Je ne peux m’empêcher de lui demander ce qui l’avait poussée à choisir la contrebasse. Une flûte n’aurait-elle pas été plus facile à transporter ?

Oui, mais elle n’aurait pas le son grave de cet instrument qui du plus loin que je me souvienne m’a toujours attirée.

Je pense que son style atypique m’a inspirée lors des séances de pose. Je crois avoir réussi d’elle des croquis et tableaux intéressants.

Souvent, au cours de ses visites, Annie me demandait de lui parler de sa mère. Elle connaissait peu de choses d’elle, parce que chez sa tante, la sœur de son père qui l’élève, on évitait d’évoquer le douloureux accident.

Je lui racontais certaines anecdotes comme celle de l’azalée que sa mère m’avait offerte peu de temps avant la tragédie. Mystérieuse azalée qui, à la mémoire de Michèle, refleurissait chaque année à la date de l’accident.

Quelque temps avant le vernissage, à ma grande surprise, Annie qui n’est pas encore majeure, m’annonce qu’elle veut acquérir un des tableaux que j’ai réalisés d’elle. Elle porte son choix sur le plus grand.

Ce sera un cadeau offert par mes parents grâce à l’héritage qu’ils m’ont légué.

Je suis encore touchée en évoquant ce souvenir.

Annie poursuit depuis une brillante carrière de musicienne professionnelle. J’ai eu le plaisir de la voir jouer plusieurs fois, soit avec l’Orchestre symphonique du Saguenay, soit avec l’Orchestre symphonique de Québec ou l’ensemble La Piéta d’Angèle Dubeau.

Annie a trouvé en la contrebasse un instrument à la hauteur de son immense talent.

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