lundi 25 avril 2011

Testament

Charles-Eugène, mon grand frère et parrain, était l’ainé de la famille et moi, la cadette. Nos quinze ans d’écart lui donnait à mes yeux une aura de sagesse et d’autorité plus proche du père que du grand frère. Jeune, je ressentais une certaine gêne devant lui. Gêne qui, au fil des ans, s’est transformée en affection et admiration.

Il était solide de corps et d’esprit. Ce n’est qu’à l’aube de sa quatre-vingt-dixième année qu’il marqua des signes irréversibles de déclin.

J’allai le voir à l’hôpital de Métabetchouan en septembre 2006. Je le vois tout maigris dans un fauteuil près de son lit.

Que je suis content de te voir ma chère filleule! Viens tout proche, j’ai une belle histoire à te raconter.

Je sens que ce qu’il veut me dire est important.

J’avais quinze ans. J’étais pensionnaire au séminaire de Chicoutimi. C’était durant la semaine sainte. Le supérieur me convoque à son bureau. Il m’informe qu’à la suite d’un coup de fil de mon père il m’investit d’une mission spéciale, celle de rapporter dans ma famille un trésor.

Me voyant intrigué, il m’explique qu’il s’agissait de ramener ma petite sœur qui avait été placée depuis sa naissance chez tante Yvonne à Chicoutimi suite à l’hospitalisation prolongée de notre mère. Une épidémie de rubéole sévissait à Chicoutimi. Il fallait protéger le bébé de toute contagion.

C’est ainsi que j’ai pris le train ce soir-là en emportant dans mes bras une petite merveille de neuf mois.

En autant que je me souvienne, elle n’a pas pleuré du voyage. Je la regardais. Elle était belle «sans bon sens». Et je me disais qu’un ange pareil ne pouvait qu’avoir une belle destinée.

Je l’ai suivie avec intérêt toute ma vie. Je l’ai vue évoluer à mon goût et développer ses talents d’artiste. Je suis fier d’elle et il me presse de le lui dire « à c’teure » que je suis rendu à bout d’âge.

À la fin de ce touchant récit, son visage émacié marque une grande fatigue. Il me regarde avec une infinie tendresse. De ses beaux yeux bleus des larmes affluent. Chez moi aussi.

Je l’étreints affectueusement. Ce sera la dernière fois.

Sur le chemin du retour vers Québec les mots affectueux de mon grand frère continuaient à tourbillonner dans ma tête. J’étais incapable de parler. Je mesurais la grande affection qui nous unissait, lui l’aîné et moi la petite dernière. Les extrêmes se touchent, se plaisait-il à dire souvent.

Dans les jours qui suivirent, Charles-Eugène garda le lit. J’étais régulièrement informée de l’évolution de son état par Roger et Anne-Marie, ses enfants attentionnés,

Le 10 novembre 2006, mon grand frère et parrain ferma les yeux pour toujours.

Je me souviens des couleurs flamboyantes du crépuscule ce soir-là. J’aime imaginer que le ciel mettait ses plus beaux atours pour l’accueillir.

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