lundi 25 avril 2011

Lettre à Maurice


Mon cher Maurice,

Lors de notre dernier voyage en Charlevoix, tu me dis, d’un air coquin, avoir une question à me poser. Intriguée, je prête l’oreille.

Pas tout de suite... quand nous serons seuls.

Rien pour me rassurer. Avide de savoir, j’ai vite fait de me présenter le lendemain, au petit-déjeuner, sachant que tu y serais à la première heure.

Et puis, cette question?

Avec un sourire inquisiteur tu me demandes:

Yvonne, comment s’appelait ton premier amoureux?

Claude, bien sûr.

Mais avant…

J’ai bien eu des petites amourettes, sans plus.

Des noms, des noms?

Laurent, Guy, Raymond…

Et… JEAN-LOUIS…?

Monsieur Dolbec?...

Tu évoquais là la plus belle histoire romanesque de mon adolescence.

D’où tiens-tu cela?

Je reviens d’une excursion de pêche avec un fils Dolbec qui m’a fait cette révélation.

Cette sortie mérite explication.

Voici donc, mon cher Maurice, l’histoire d’un amour impossible.

J’ai douze ans. Je dois poursuivre mes neuvième et dixième années au couvent du village. Ma sœur Claire accepte de me prendre en pension chez elle. Un autre pensionnaire y loge aussi. C’est Monsieur Dolbec, instituteur et collègue de mon beau-frère Alfred également instituteur. Assis au salon, un livre à la main, le pensionnaire porte son regard sur la jeune fille timide qui arrive. Il est beau, élégant et arbore un sourire énigmatique. Alfred me présente avec des qualificatifs excessifs. Je fonds.

À la table, ce soir-là, mon beau-frère, voulant sans doute me mettre à l’aise, y va de taquineries loufoques à mon endroit qui ont l’effet de me faire rougir d’avantage sous le sourire toujours énigmatiquement de Monsieur Dolbec.

C’est dans cet état d’esprit qu’a commencé ma cohabitation avec le beau pensionnaire. Son charme silencieux accentuait mon malaise.

Les jours se suivaient sans atténuer ma timidité envers lui. Dès que j’entendais ses pas sur la galerie, mon cœur commençait à battre. Et que dire du parfum délicieux qu’il laissait dans son sillage après sa toilette ? Sans en connaître le nom, j’en retiens le souvenir suavement enivrant.

Un jour, pour justifier ses sorties des bons soirs, il apprend à ma sœur qu’il fréquente une demoiselle Simard, une des plus belles filles du village. Je connais cette belle demoiselle qui est au surplus intelligente et distinguée.

Au cours de l’hiver, alors que je suis seule à la maison tout occupée à faire mes devoirs sur la table de la cuisine, monsieur Dolbec attire mon attention.

Je veux te montrer quelque chose.

Il sort de sa poche un écrin de velours bleu, l’ouvre et me montre la jolie bague qu’il va offrir à sa fiancée.

Essaie-là.

Troublée, les yeux dans l’eau :

Comme elle est chanceuse!

Loin de me consoler, il ajoute :

Peut-être que cette bague serait à toi si tu avais dix ans de plus.

Quelques années plus tard, alors que j’étais heureuse mariée, j’ai revu Monsieur Dolbec. Je lui ai dévoilé mon amour secret d’adolescence. Il a souri de l’air entendu de quelqu'un qui sait.

Voilà, mon cher Maurice, une page romantique de ma vie qui est loin d’être une histoire de pêche.

En toute amitié.

Yvonne

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