lundi 25 avril 2011

Mon atelier

Le temps fut long avant que j’aie mon espace à moi, mon atelier.

Dans notre maison à Jonquière, il n’y avait de place que pour la famille. Chacun finit par avoir sa chambre, mais pour moi, prendre ma place n’était pas simple.

Au début, c’était la cuisine. Pour y peindre, je dressais mon chevalet près de la machine à laver et la sécheuse sur lesquelles je déposais mon matériel. À la fin de la journée, je devais tout ranger.

Quand ces électroménagers ont été déplacés à la cave, dans la chambre des fournaises, mon atelier a suivi. Mon père, qui finissait le sous-sol, installa dans mon nouveau réduit : un évier, une tablette pour déposer mon matériel et un grand chevalet mural qui me permettait de peindre des toiles de grandes dimensions. Espace et lumière réduites, mais avantage appréciable : je pouvais laisser mon travail sur place.

La grande pièce du sous-sol fut convertie par mon père en salle de jeu pour les enfants. Tricycles, tables, balançoires, jeux utilisaient tout l’espace y compris les coffres et les armoires. À l’adolescence, les enfants réinventèrent l’usage des lieux qui devinrent : dojo pour la pratique du judo par Yves et Jean ou court de tennis de table pour tous.

Le sous-sol changea de vocation lorsque les enfants s’envolèrent pour l’université. Ce fut pour moi l’occasion d’en faire enfin un vaste atelier.

Moment charnière pour moi, car ce fut à partir de là que je me suis sentie professionnelle dans mon métier d’artiste. J’avais enfin un espace aménagé selon mes besoins : un éclairage adéquat, une table-chevalet inclinable conçue par François et, grand luxe, un podium pour mes modèles! Dans les armoires, les jouets firent place aux vêtements et tissus dans lesquels je drapais au besoin mes modèles. C’était enfin mon atelier, mon sanctuaire. Interdiction à quiconque d’y descendre lorsque j’y travaillais. C’était du sérieux.

On n’osait plus me parler d’un beau passe-temps comme j’avais entendu trop souvent, parce que maintenant j’y consacrais tout mon temps. Je quittai l’enseignement des arts plastiques pour travailler à plein temps à ma production artistique. Au rythme d’une exposition solo tous les deux ans, les thèmes s’enchaînaient sans relâche. Les tableaux accrochés aux murs de mon atelier stimulaient mon imagination. Les commandes spéciales aussi.

Un jour, un éditeur me fit une demande inhabituelle : peindre quinze tableaux à l’huile pour illustrer un roman historique. Énorme défi, car le délai était court. J’ai dû travailler beaucoup plus intensément qu’à l’ordinaire. La jeune femme qui me servait de modèle pour l’héroïne du roman se fit heureusement généreuse de son temps. J’y suis arrivée. Je me souviens qu’après avoir signé le dernier des quinze tableaux, je me suis assise par terre, seule devant eux, et j’ai éclaté en sanglots. Exténuée, mais ravie du résultat.

Une rencontre avec le célèbre sculpteur Gérard Bélanger m’a donné le goût de mettre les mains dans l’argile et de tenter d’en tirer des formes. Je me lançai avec audace à sculpter le buste de mon petit-fils Laurent, mignon bambin de trois ans. Sa réussite m’encouragea à le couler dans le bronze. D’autres sculptures seront confiées par la suite aux fondeurs des Ateliers du bronze d’Inverness. C’est ainsi qu’en plus de Laurent, mes cinq petites-filles et Claude seront « bronzés » pour l’éternité.

Lors de notre déménagement à Québec, il allait de soi que je devais avoir mon atelier. Il fut supérieur à mes aspirations. Jamais je n’aurais imaginé un tel espace muni de larges fenêtres avec une terrasse donnant sur les plaines d’Abraham. Un immense tableau bucolique qui aura une incidence sur la présence florale dans mes compositions futures. Les tableaux de mes petits-enfants adolescents sont plus fleuris que ceux de la série que j’avais faite d’eux lorsqu’íls étaient enfants. Je les ai tous là autour de moi sur les murs de mon atelier comme autant de présences joyeuses.

Sur mon bureau, un ordinateur m’offre un nouveau médium : celui de peindre avec des mots. Écrire Souvenirs désordonnés et En pièces détachées m’a passionnée. Ces deux recueils furent édités et un troisième est en marche. Est-ce à dire que j’ai rangé mes pinceaux ?

Pas tout à fait. L’envie de jouer avec les vrais couleurs me prend de temps en temps. Et, comme j’ai promis à mes petits-enfants de les peindre adultes, il me reste encore une autre belle série à brosser. Je dois m’y mettre avant qu’ils ne soient eux-mêmes grands-mères et grand-père et que moi… je sois vieille!

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