lundi 25 avril 2011

Les colères de mon grand-père

Les colères de mon grand-père n’avaient d’égales que l’entêtement de ma mère. La voix forte de l’un voulait avoir raison du ton péremptoire de l’autre.

Mon Dieu! que j’ai souffert de leurs querelles! Peut-être est-ce pour cela que mon souvenir en a amplifié la fréquence.

Grand-père vivait à la maison. C’était selon la tradition. Le père vieillissant passait la propriété au fils qui devait le loger et le nourrir jusqu’à sa mort. L’aïeul jouissait d’un statut de patriarche vénéré et respecté, malgré les situations parfois difficiles.

Grand-père n’hésitait pas à se mêler des affaires de la maison de façon autoritaire malgré le fait qu’il en avait passé la gestion à mon père. Cela déclenchait souvent discussions interminables et échanges acerbes.

À mon avis, il aimait s’obstiner. Tout pouvait l’allumer.

Par exemple, un article du journal Le Devoir, un retard à réparer une clôture, un travail exécuté de manière différente de la sienne, tout pouvait être matière à discussion spécialement avec ma mère qui n’hésitait pas à l’affronter.

Un sujet inflammable entre tous concernait les engagements sociaux de mon père. Je me rappelle qu’un jour au lendemain d’une assemblée de la commission scolaire dont mon père était le président, il commença son déjeuner en disant à maman:

Raoul s’est levé plus tard que de coutume à matin. À force de trotter le soir et à s’occuper des affaires des autres… il va finir par négliger sa terre.

Vous avez tort de parler ainsi, lui répliquait ma mère. Vous devriez plutôt être fier de votre fils au lieu de l’accabler de reproches.

Mon père, diplomate de nature, écoutait les diktats de son père, donnait parfois son opinion mais agissait à sa manière. Maman, elle, ne lâchait pas prise et répliquait inlassablement. Il s’en suivait des discussions interminables qui me mettaient dans un grand malaise, toute partagée que j’étais entre ces deux êtres que j’aimais.

Eux aussi s’aimaient bien. Maman admirait la stature physique et intellectuelle de son beau-père de même que sa rigueur morale. Lui admirait chez maman sa grande intelligence. D’ailleurs il disait d’elle dans son langage phallocrate qu’elle avait un cerveau d’homme… Compliment suprême.

Malgré cela dans un excès de colère je l’ai entendu lui répliquer un jour :

C’est pas une étrangère qui va venir me dire quoi faire dans ma maison!

Et moi qui, je pense, a hérité du caractère pacifique de papa, je suppliais maman de laisser tomber.

À bout d’arguments souvent Grand-père sortait et disparaissait pendant des heures. À l’heure du repas, on m’envoyait le chercher. Je le trouvais ordinairement assis sur le siège d’une carriole dans le hangar à voitures, son chapelet à la main, l’air piteux, manifestement malheureux.

Venez Grand-père. Venez dîner. Maman vous a préparé un bon repas.

Il me suivait docilement.

C’est par amour pour toi ma p’tite fille que je rentre à la maison.

Fallait-il le croire? C’était un beau prétexte pour cacher sa faim.



Onésime Tremblay, vers 1930


2 commentaires:

  1. C'est la première fois que j'entends parler de ces petits accrochages du quotidien. J'aime bien ce genre de récit qui donne aux gens du caractère et une âme qui leur est propre. Merci pour cette petite incursion dans la vie familiale.

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