lundi 25 avril 2011

Vacances d'été

Dès qu’on entrait chez tante Laudéa ça sentait bon la cire d’abeille. Son mari, oncle Vincent, était apiculteur.

Quel plaisir j’avais à aller chez elle durant les vacances d’été! Tout était différent de chez nous : le paysage, le régime alimentaire, la manière de vivre, et, comble de bonheur, les Doré tenaient un magasin de friandises.

Ce modeste paradis n’était qu’à deux miles de chez nous. Nous pouvions y aller à bicyclette pour jouer avec les cousines Marie-Paule et Élise. Leur frère Victorien, lui, passait l’été dans notre famille où il apportait son aide aux travaux des champs. En contrepartie, tante Laudéa invitait les petites pour une semaine. Je ne garde que de joyeux souvenirs de cette promenade annuelle.

Au dessus de la galerie de la maison il y avait une grande enseigne :

Le rucher de l’excellent miel doré

Vincent Doré, propriétaire.

Situé en flan de colline, le rucher ressemblait à une petite cité toute blanche. Certaines ruches plus hautes que les autres se dressaient comme de minis gratte-ciel. La vaillance des abeilles ouvrières obligeait l’ajout de sections supplémentaires. Leur va-et-vient entre les champs de trèfle environnants et leurs habitacles n’avait de cesse depuis l’aube jusqu’à la tombée du jour. Il fallait entendre leur bourdonnement menaçant lorsqu’on les approchait d’un peu trop près. Je dis bien un peu, car malheur à qui goûtait à leurs piqûres douloureuses.

À la fin de l’été, c’était la récolte. Oncle Vincent tel un chevalier en armure, revêtait la tenue de combat : salopette blanche, chapeau à large bord recouvert d’une moustiquaire bien refermée sur les épaules. Ganté jusqu’au coude, il ouvrait prudemment les ruches une à une et y prélevait, au grand déplaisir des abeilles affolées, les cadres gorgés de miel. Transportés dans sa cave-laboratoire d’une très grande propreté ils étaient soumis à l’action d’une imposante centrifugeuse qui en extirpait cet excellent miel doré qui faisait la réputation de la maison. Le miel était ensuite versé dans des chaudières de différents formats libellées au nom du rucher que notre oncle rangeait sur des tablettes dans l’attente des clients. Pour allécher ces derniers il en montait quelques-unes à son magasin du rez-de-chaussée.

En fait, ce magasin ressemblait plutôt à un dépanneur d’aujourd’hui. À mes yeux d’enfant, ce qui m’attirait c’était les diverses gâteries qui y étaient étalées comme les grosses bouteilles d’orange croche, les bonbons à la cenne, les gommes ballounes, les bâtonnets de réglisse et autres merveilles inconnues chez nous. Tante Laudéa savait nous gâter sans exagération.

Elle nous servait aux repas des mets qui nous étaient exotiques comme le saucisson de Bologne qu’on appelait balle au nez qui revenait souvent ou encore des sandwiches aux bananes et au beurre d’arachide. Parfois, à l’époque de la récolte, oncle Vincent montait de la cave un gâteau de miel que l’on mâchait pour en extraire de la cire le délectable nectar.

Je ne me suis jamais ennuyée chez Laudéa. De toutes mes tantes c’était celle qui savait le mieux se mettre à la portée des enfants. Elle avait d’ailleurs un côté juvénile pour ne pas dire naïf qui l’amenait volontiers à partager nos jeux. Quand nous jouions à la madame elle ouvrait sa garde-robe et nous prêtait robes, chapeaux, souliers à talons hauts. Ce jeu tenait du théâtre. L’hôtesse désignée devait dresser la table, recevoir ses invités avec moult cérémonies, verser le thé, servir des friandises dans les petites assiettes du service de vaisselle jouet. C’était pour nous en quelque sorte une initiation aux bonnes manières des grands. Le déguisement facilitait la création des personnages. Les conversations se faisaient sophistiquées, dignes des personnages de la comtesse de Ségur.

La semaine chez les Doré passait toujours trop vite. Ces vacances d’été sont pour moi classées parmi les plus beaux souvenirs de mon enfance.

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