lundi 25 avril 2011

Le catalogue

L’arrivée du catalogue de Noël de Dupuis & Frères comptait parmi les moments excitants de mon enfance. C’était pour moi un messager de rêve.

Nous ne recevions que ce catalogue à la maison. Il n’était pas aussi volumineux que celui tout en couleurs de chez Eaton que recevaient nos voisins. Maman par solidarité nationale achetait chez les Canadiens-français.

Il nous était interdit de déballer le catalogue avant que maman ne l’ait désinfecté. Ce qui voulait dire enlever les pages subversives, celles des gaines et soutien-gorges, au cas où elles tomberaient sous les yeux des petits cousins souvent en visite chez nous. Il fallait avoir beaucoup d’imagination pour trouver quelque subversion dans les images en noir et blanc de ces femmes corsetées de baleines. Enfin, il faut le voir avec les yeux de l’époque.

Désinfecté, le catalogue devenait pour moi objet de convoitises, spécialement les images de jouets et de poupées. Je n’avais pas de difficulté à les imaginer en couleurs. Rose devenait la robe de la poupée qui pleure, gris-bleu son landau pour la promener, rouge et verte la toupie chantante.

Je feuilletais aussi les pages de vêtements pour enfants et j’enviais les filles qui recevraient les belles robes achetées toutes faites. Je ne me plaignais pas. Je me considérais même choyée de recevoir chaque année des étrennes quand plusieurs de mes petites voisines n’en avaient pas. Encore aujourd’hui je me demande par quels miracles maman réussissait ce tour de force en cette période de la grande crise.

Chaque année la livraison par le postillon de la grosse boîte en provenance de Chez Dupuis & Frères venait me confirmer que j’aurais des étrennes au jour de l’an.

Une année cependant la boite s’est avérée trompeuse. Je n’ai pas eu mon cadeau individuel. Maman avait décidé que le cadeau serait collectif. La grosse boite renfermait un service de porcelaine anglaise pour dix-huit convives. Maman nous expliqua que cet achat exceptionnel coûtait très cher et qu’il ferait la joie de toute la famille.

Cette année-là le banquet du jour de l’an prit de la noblesse. Sur la table revêtue de la belle nappe brodée aux points richelieu par ma grande sœur Marguerite s’étalaient les pièces blanches décorées de fines fleurs et lisérées d’or du cadeau familial. Je découvrais déjà la beauté et la finesse de la porcelaine anglaise.

L’oie traditionnelle ce jour-là devint un met royal.

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