Je devais avoir dix ans. C’était l’année de ma communion solennelle. Par un beau matin de printemps maman me dit qu’il me faudrait un manteau neuf. Je n’en reviens pas. Moi, huitième fille de la famille, j’use ordinairement les vêtements de mes sœurs ainées. Investie d’un sentiment de fille unique, je me rends avec ma chère maman chez Armand Maltais, un magasin général de Métabetchouan. Tandis que ma mère dicte à madame Maltais la liste de ses commissions, je regarde du côté des tablettes de tissus. Un tartan écossais de couleur rouge m’attire immédiatement. Qu’en pensera maman? Le tour du manteau venu, la marchande dépose sur le comptoir des cartons de lainages, tous ternes à mes yeux. Arrive enfin le tartan rouge. Exclamation de ma part. Maman de réfléchir à voix haute : Je vivais des moments de rêve. Aussitôt dit aussitôt taillés et mis dans le sac : tissus, doublure, rubans et fil à coudre. Là, c’est le comble. Chez une vraie couturière! Mademoiselle Henriette habite rue de la gare au dessus du magasin des demoiselles Coulombe. Nous accédons à son logement par un escalier extérieur. La vieille demoiselle nous accueille dans son salon qui sert à la fois de salle de couture. Sa machine à coudre trône près de la fenêtre. Tout à côté, dessus une grande table : ciseaux, gallon à mesurer, patrons, boite de boutons, bobines de fil et vêtements en cours de confection. La pièce est propre et rangée, mais ça sent le renfermé. Henriette semble étonnée que maman ait recours à ses services alors qu’elle sait si bien coudre. Flattée, mademoiselle Henriette accepte et me prie d’enlever mon manteau d’hiver pour prendre mes mesures… Et c’est parti. Deux essayages et deux semaines plus tard, nous sortons de chez elle avec un manteau unique. Au bas de l’escalier, maman me réserve une autre surprise. Tant de largesse suppose de sa part des prouesses d’économies domestiques insoupçonnées... De retour à la maison, c’est l’essayage devant mes grandes sœurs. On applaudit à ma transformation. Une d’elles suggère de couper mes longues tresses de cheveux et de me faire friser. Toutes d’accord. Finie l’enfance. Ma communion solennelle devient pour moi un rite de passage. À mes pensées mystiques se mêlent des pensées profanes nouvelles. Je me sens grande et belle. Ce fameux manteau de tartan rouge fut en quelques sortes le cocon de la chrysalide que j’étais en ma dixième année.
— Celui de Madeleine ou celui de Marie?
— Non, un manteau tout neuf spécialement pour toi.
— Ton père va au village cet après-midi. Nous profiterons de l’occasion pour aller ensemble en choisir le tissu.
— Qu’en pensez-vous madame Tremblay?
— Ça pourrait faire un joli manteau tailleur… avec un collet de velours noir… Comme tu serais jolie avec ça ma p’tite fille!
— Avant le retour de ton père, nous avons le temps d’aller chez Mademoiselle Henriette, la couturière.
— Je n’ai pas le temps en ce moment et votre réputation de couturière hors pair m’amène à vous demander ce service.
— Entrons chez les demoiselles Coulombe, me dit-elle. Un béret noir ou bleu marine irait bien et il te faut aussi des souliers neufs.
— Qu’en pensez-vous ? demande maman.
lundi 25 avril 2011
Mon manteau de tartan rouge
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